Enquête publique sur le décès de M. Pierre Coriolan : le coroner Luc Malouin dépose son rapport

Courtoisie

Le Bureau du coroner annonce la publication du rapport d’enquête publique sur le décès de M. Pierre Coriolan survenu en 2017 à la suite d’une intervention policière à Montréal. À l’issue de cette enquête publique, amorcée en février 2020, le coroner Luc Malouin formule plusieurs recommandations pour assurer une meilleure protection de la vie humaine lors d’interventions policières face à des personnes dont l’état mental est perturbé.

Me Malouin présidera dans les prochains mois deux autres enquêtes publiques portant sur des décès survenus dans le cadre d’une intervention policière, soit les enquêtes sur les décès de M. Koray Kevin Celik et de M. Riley Fairholm. Les dates des audiences ainsi que toute autre information pertinente seront disponibles prochainement dans le Calendrier des enquêtes publiques du Bureau du coroner.

Rappel des faits

Le 27 juin 2017, vers 19 h 19, un appel est fait au 911 pour demander aux policiers d’intervenir auprès d’un homme en crise dans son appartement situé sur l’avenue Robillard à Montréal. L’identité de l’homme est alors inconnue, mais ce dernier sera ultérieurement identifié comme étant M. Pierre Coriolan. L’appelant mentionne que la personne est en détresse, qu’elle a des problèmes de santé mentale, qu’elle brise tout dans son appartement depuis plusieurs minutes et qu’elle pourrait être armée d’un bâton ou d’un couteau. Un deuxième appel entre au 911 dans les minutes suivantes pour le même événement. L’appelant mentionne toutefois que l’homme serait possiblement seul dans son logement, mais cette information n’est pas transmise sur les ondes radio destinées aux policiers. L’appel est acheminé au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à 19 h 21 et deux policiers patrouilleurs sont affectés à la situation.

En cours de route, les agents demanderont qu’un agent habileté à utiliser une arme à impulsion électrique (AIE) se joigne à eux de même qu’un agent pouvant utiliser une arme intermédiaire d’impact à projectile (AIIP [fusil avec des projectiles de 40 mm utilisé pour contrôler les foules ; arme non létale, lorsqu’utilisée de la bonne façon]), soit deux armes intermédiaires pouvant être utilisées dans le cas d’une personne mentalement perturbée et en crise. Les deux agents affectés à l’appel sont donc rejoints devant l’immeuble par deux autres agents patrouilleurs et deux sergents.

Le sergent en autorité par son grade prendra le contrôle de l’intervention. En montant à l’étage, les policiers entendent toujours des cris, du vacarme et des bruits de bris. Arrivé près de la porte de l’appartement de M. Coriolan, le sergent constate que la porte de l’appartement est entrouverte, l’ouvre complètement et voit M. Coriolan au fond de l’appartement, assis sur un divan, immobile. Dans chacune de ses mains, il tient fermement ce qui paraît être des couteaux. Il ne semble pas réaliser la présence des policiers.

Un policier crie : « Police » et « Lâche tes armes ». Au même moment, un deuxième policier fait de même. M. Coriolan se lève, se tourne vers la porte de l’appartement et commence à marcher lentement en direction des policiers avec un couteau dans une main et ce qui s’avérera être un tournevis de 20 cm dans l’autre. L’AIIP est alors utilisée et un projectile de 40 mm atteint la cuisse de M. Coriolan. Il ne bronche pas et continue à avancer.

On tente alors d’utiliser l’AIE, mais les fléchettes manquent leur cible et une seule atteint M. Coriolan à la cuisse. Celui-ci continue à avancer vers les policiers, ses armes dans ses mains.

Il atteint la porte de l’appartement puis sort dans le corridor de l’immeuble. Les policiers lui demandent de lâcher ses armes, mais il continue toujours à marcher vers eux, sans broncher. Les policiers craignent pour leur vie. Le sergent qui contrôle l’opération et un des agents font feu presque au même moment sur M. Coriolan, avec leur arme à feu. Ce dernier est atteint de trois projectiles et tombe au sol sur les genoux. Il tient toujours fermement son couteau et son tournevis et ne répond pas aux demandes des policiers de lâcher ses armes. L’AIIP est utilisée sans succès, mais l’AIE fait tomber M. Coriolan au sol, sur le côté gauche. Les policiers arrivent à lui enlever ses armes.

Menotté, il est tourné sur le dos et les policiers constatent alors qu’il est inconscient. Une ambulance est demandée en priorité sur les lieux et des manœuvres de réanimation sont entreprises. Les ambulanciers prennent le relais dans les minutes suivantes et conduisent M. Coriolan au Centre universitaire de santé McGill. M. Coriolan arrive en arrêt cardiaque, sans pouls. On tentera des manœuvres de réanimation pendant 35 minutes, mais sans succès. Le médecin à l’urgence constatera ensuite son décès.

L’intervention policière a duré 5 minutes 18 secondes au total.

Une autopsie est pratiquée au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML) à Montréal le 28 juin 2017. Dans son rapport, le pathologiste conclut à un décès par traumatisme abdominal par projectile d’arme à feu. Des analyses toxicologiques ont aussi été effectuées. La présence de cocaïne à un taux élevé dans le sang a été détectée. Diverses expertises balistiques ont également été effectuées au LSJML.

Pierre Coriolan est décédé des suites d’une hémorragie secondaire au passage d’un projectile d’arme à feu. Il s’agit d’une mort violente.

Analyse

L’opinion des experts en intervention de la force

Deux experts en intervention de la force ont été entendus et leur témoignage était formel à savoir que cette opération aurait eu avantage à se faire plus lentement. De plus, le sergent alors responsable de l’opération aurait dû rester en retrait pour garder un regard complet et objectif sur l’opération, mieux analyser celle-ci et mieux la diriger. Les policiers auraient dû basculer en mode défensif puisqu’il n’y avait plus aucune urgence d’agir à ce moment. Ces faits témoignent du manque de planification de l’opération et de sa rapidité excessive.

Néanmoins, l’intervention a été menée en fonction de la formation qu’avaient les policiers au moment des événements. En effet, ces policiers n’avaient pas eu les plus récentes formations en intervention auprès des personnes en crise. Ils ont suivi le principe directeur de la formation en intervention tactique rapide, qui est d’isoler et de contrôler rapidement la personne menaçante. Cette formation est toujours valable pour un tireur actif, mais pas pour une personne dont l’état mental est perturbé. Le coroner juge essentiel de mieux former les policiers, mais également tous leurs superviseurs et chefs d’équipe, pour faire face à des personnes qui sont malades ou intoxiquées et qui n’ont plus de contact avec la réalité.

La formation des policiers

Au cours des dernières années, différents coroners ont formulé des recommandations quant à la formation des policiers pour faire face à ce genre de situation. Me Malouin lui-même, dans son rapport d’enquête publique dans le dossier de M. Alain Magloire, publié en 2016, avait formulé de telles recommandations. Il en reprend certaines dans son rapport d’enquête sur le décès de M. Coriolan.

Bien que, depuis la publication du rapport d’enquête sur le décès de M. Alain Magloire, les cégeps et l’École nationale de police du Québec (ENPQ) aient bonifié la formation des aspirants policiers afin de mieux les préparer à faire face à des personnes dont l’état mental est perturbé, le rapport final du Comité consultatif sur la réalité policière (2021), qui consacre un chapitre complet sur la formation des policiers, démontre que des améliorations sont toujours souhaitées. Ainsi, après avoir élaboré des recommandations pour améliorer la formation générale des policiers, le recrutement des futurs policiers, des chefs/directeurs de police et la formation de base des policiers, le Comité se penche sur la formation continue des policiers et la requalification. Le coroner Malouin reprend deux des recommandations du Comité sur la formation continue, avec lesquelles il n’est que partiellement en accord, puisque les spécialistes en matière de formation policière entendus ont été unanimes sur le fait que de rendre obligatoires 30 heures de formation continue n’est pas suffisant. En effet, la majorité des policiers au Québec font actuellement ces 30 heures de formation annuelle pour leur requalification dans diverses disciplines.

Les fondements légaux de la formation continue des policiers

Selon les fondements légaux de la formation continue des policiers, on constate qu’il y a quatre obligations principales pour le chef de police à l’endroit des policiers en matière de formation. Il doit s’assurer que ceux-ci obtiennent la formation de base, qu’ils maintiennent et mettent à jour leurs compétences et qu’ils se requalifient pour utiliser certaines armes dans les délais recommandés.

En moyenne, les policiers du SPVM répondent annuellement à 50 000 appels pour des personnes en crise. Étant donné le volume de ces appels, il serait opportun de considérer que les policiers soient mieux outillés pour intervenir et que ces compétences nécessitent des mises à jour et des requalifications fréquentes, tout comme d’autres techniques faisant l’objet de requalifications périodiques.

Les nouvelles formations offertes aux policiers

Au cours des dernières années, l’approche des policiers auprès des personnes à l’état mental perturbé a grandement évolué. En effet, en 2019, l’ENPQ a développé et apporté des précisions au modèle national en emploi de la force, qui présente la communication comme un élément important. En parallèle à ce travail de l’ENPQ, la Sûreté du Québec a analysé un grand nombre de dossiers qui mettaient en cause l’intervention des policiers impliquant un décès. Plusieurs constats ont été faits, dont, entre autres, l’importance de la communication dès le début de l’intervention. Cette étude a démontré que plus de 80 % des victimes avaient un état mental perturbé par l’alcool, une drogue de rue et/ou à cause de problèmes de santé mentale.

L’ENPQ a aussi mis sur pied un nouveau cours en désescalade qui sera obligatoire pour tous les policiers. Environ 300 policiers ont été formés à ce jour et on prévoit finir de former l’ensemble des policiers dans un délai maximal de 5 ans. Cependant, rien n’est encore prévu pour une requalification ou un maintien des compétences acquises lors de cette formation. Le SPVM n’est pas en reste quant aux nouvelles formations offertes à ses policiers. L’organisation a elle aussi mis sur pied une nouvelle formation qui englobe la désescalade et l’endiguement (contrôle de foule), et qui s’adresse à l’ensemble des patrouilleurs et des superviseurs. L’organisation vise avoir formé l’ensemble des policiers et superviseurs d’ici 3 à 4 ans. Cependant, comme dans le cas de la Sûreté du Québec, aucune requalification ni aucun maintien des compétences ne sont encore prévus.

Deux derniers éléments

Deux autres éléments sont abordés dans l’analyse de Me Malouin. Premièrement, on observe une divergence entre l’information transmise sur les ondes radio par le préposé du 911 et l’information donnée sur la carte d’appel. En effet, le fait qu’un des deux citoyens qui a contacté le 911 mentionnait que M. Coriolan était seul n’a pas été transmis sur les ondes radio. Il apparaît donc essentiel que les préposés du 911 soient formés sur les principes de désescalade et sur les facteurs influençant le travail policier.

Deuxièmement, l’ENPQ a commencé à analyser la possibilité que les policiers utilisent un bouclier inversé lors de certaines interventions. Il s’agit d’un outil supplémentaire qui pourrait être déployé auprès des policiers lorsqu’ils doivent neutraliser une personne armée et intoxiquée ou dont l’état mental est perturbé. Il apparaît important au coroner Malouin que l’ENPQ continue son travail de recherche afin de déterminer les bonnes pratiques policières avec ce nouvel outil.

Les recommandations à être élaborées

Le décès de M. Coriolan a mis en lumière les conséquences d’un manque de formation des policiers. Il est essentiel de la modifier et de la bonifier afin qu’elle reflète les attentes des citoyens envers eux. Plus encore, les policiers doivent être le mieux outillés possible pour faire face à la réalité de la société actuelle. Une bonne formation de base à laquelle sont joints un maintien et une mise à jour des compétences dans le cadre d’une formation continue et obligatoire est essentielle. Finalement, comme pour tout apprentissage, les policiers doivent régulièrement mettre en pratique les formations reçues pour être toujours au sommet de leurs capacités.

Ce défi de formation va forcer un changement d’approche pour toutes les requalifications obligatoires et annuelles. Chaque requalification ne peut porter que sur un élément, puisque cela ne reflète pas le travail quotidien, où une même situation nécessite l’utilisation de plusieurs techniques et approches. Ces changements exigeront peut-être des formateurs plus polyvalents. Au besoin, il appartiendra aux corps policiers de bonifier et valoriser ce travail qui deviendra essentiel. Pour Me Malouin, l’apport de l’ENPQ pour développer et conseiller les corps policiers dans tous ces changements est nécessaire.

Recommandations

À la lumière des enjeux soulevés par l’analyse des causes et des circonstances de ce décès et afin de faire évoluer positivement le travail policier et possiblement d’éviter qu’un décès comme celui de M. Coriolan ne se reproduise, Me Malouin formule les recommandations suivantes :

  • Au ministère de la Sécurité publique du Québec en collaboration avec l’École nationale de police du Québec :
    • De déterminer, à l’aide de données probantes, la quantité et la durée de formation continue pour maintenir, mettre à jour et requalifier les compétences policières.
  • À la ministre de la Sécurité publique du Québec :
    • De modifier la Loi sur la police pour y introduire l’obligation pour chaque policier québécois de réaliser une formation continue annuelle conformément au nombre d’heures minimales déterminées en collaboration avec l’ENPQ ;
    • D’enchâsser dans un règlement les définitions de formation initiale ou de base, de maintien des compétences, de mise à jour des compétences et de requalification afin de clarifier le tout ;
    • D’enchâsser dans un règlement la liste des éléments de la pratique policière devant faire l’objet d’un maintien de compétences, de la mise à jour de celles-ci et de la requalification périodique et le cycle de requalification pour chacun d’eux ainsi que leur durée ;
    • D’enchâsser dans ce règlement l’obligation de requalification annuelle pour les policiers en matière de désescalade et de communication tactique ;
    • De prévoir dans ce règlement les conséquences pour un policier d’échouer sa requalification en matière de désescalade et de communication tactique 
    • D’ajouter dans les formations aux préposés du 911 des notions d’intervention devant les personnes en crise ou dont l’état mental est perturbé incluant des notions de désescalade.
  • Au Service de police de la Ville de Montréal et à la Sûreté du Québec :
    • De continuer le déploiement des formations en désescalade et en accélérer le rythme afin que tous les policiers aient reçu cette formation le plus rapidement possible ;
    • De prioriser le déploiement de cette formation aux personnes en autorité et aux supérieurs dans un poste de police ;
    • De prendre tous les moyens possibles pour que les principes de désescalade deviennent partie prenante du travail quotidien des policiers ;
    • D’élaborer une mise à jour et une requalification annuelle pour ces formations en désescalade et en communication tactique et la mettre en place rapidement.
  • En collaboration avec l’École nationale de police du Québec :
    • De mettre fin aux requalifications en silo afin que chacune d’elles soit l’occasion pour le policier de pratiquer l’ensemble de ses compétences et de les mettre à jour lorsque possible 
    • De développer des programmes de maintien des compétences, de mise à jour de celles-ci et de requalifications prévues dans les différentes directives policières pour faire en sorte que chacune de ces activités soit l’occasion d’évaluer l’ensemble des compétences et des habilités des policiers.
  • À l’École nationale de police du Québec :
    • De collaborer avec les divers intervenants à la réalisation des recommandations ci-dessus mentionnées 
    • De continuer les études et le développement de l’utilisation du bouclier inversé.
  • À l’Association des directeurs de police du Québec :
    • De mettre en place, si ce n’est déjà fait, des mesures de formation, de maintien des compétences et de requalification pour l’ensemble de leur effectif en matière d’intervention auprès de personnes en crise ou dont l’état mental est perturbé.